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Socrate, le Retour

À Eschyle qui m’a ouvert la porte du Théâtre, à Socrate qui m’a entraînée à explorer les champs de l’être et à faire jaillir la parole, à ces compagnons immenses qui éclairent chaque jour l’histoire d’un monde qui nous reste encore à écrire.

 

À tous les enfants, mesagers de Socrate.

 

À tous les résistants qui viendront à naître.

 

À la liberté de l’être.

Zarina Khan

Note d'’intention de l’auteur

Le concept même de cette œuvre théâtrale est socratique.

 

Dans chaque théâtre où Socrate entre, seuls trois acteurs le suivent, les autres acteurs sont ceux de la ville, de la Cité. Mobilisés dans différents cercles, d’âges et d’horizons différents, élèves ou adultes volontaires, des humains choisissent d’œuvrer ensemble et deviennent en cinq ateliers précédant la représentation, partie intégrante du Chœur de la Cité. Le public est amené dans ce processus socratique à créer l’acte IV, "la parole de la Cité".

 

À l’heure où le monde se déchire autour de croyances et de dieux intolérants, où l’économie se déguise en extrêmismes religieux, où la jeunesse se fait insaisissable, entourée de ses dogmes et ses modes, le retour de la parole d’un homme qui croit que chaque être est un trésor et qui le prouve, en accouchant du trésor de chacun et en le rendant visible à tous, est une nécessité.

 

Socrate, soldat et sculpteur, devenait par le dialogue "sage-femme", accoucheur de la connaissance qui est en chacun. Dans l’actualité tragique du monde, faire résonner sa parole, est urgent.

 

J’ai longtemps servi Eschyle qui, il y a 2500 ans, inventait le Théâtre pour accompagner la naissance de la démocratie. Comme Eschyle est le père du Théâtre, Socrate est le père d’une philosophie qui porte le citoyen à prendre sa place et la parole.

 

J’ai ouvert à travers le monde, des ateliers d’écriture et de pratique théâtrale dont j’ai créé la méthodologie, qui réunissent des citoyens sans frontières autour de la création. On a souvent rapproché ces ateliers de la "Maïeutique", ou l’art de faire accoucher, sans doute parce que je n’ai jamais quitté Socrate, sur les chemins de transversalité que j’ai choisis, où l’art n’a de sens que parce qu’il se fait écrin de la conscience, outil de la construction de la cité.

 

À partir de "l’Apologie de Socrate", de Platon et de Xénophon, j’ai très librement "retrouvé" la parole de Socrate et l’ai reliée à l’actualité du monde.

 

J’ai déjà osé faire l’execice périlleux en écrivant "Souvenirs des tragédies disparues", qui retraçaient l’histoire d’Œdipe, et que j’ai osé injecter à ma traduction des "7 contre thèbes" d’Eschyle. Cet acte d’écriture à priori audacieux, a rencontré, non seulement l’aval du public mais aussi celui du grand helléniste Pierre Vidal-Naquet qui m’a offert la préface du livre, lors de sa publication.

 

Sans doute, cela m’encourage à continuer et à réanimer ces paroles fondamentales pour qu’elles éclairent "la nuit qui tombe sur le monde".

 

Préface de Pierre Rabhi

Socrate n’est pas réductible à un philosophe parmi les philosophes car il est avant tout une immense conscience. Une conscience essentiellement nourrie par l’expérience tangible, sensuelle et cette intelligence qui n’a cure de tous les sophismes et prend en compte la vérité dans toute sa nudité, sa beauté, sa rigueur.

 

Il invite ainsi chacun de nous à creuser en soi pour faire advenir une lucidité qui n’a d’autre objet qu’elle-même mais qui a le pouvoir d’éclairer nos pensées et nos actes pour leur donner intelligence. Et il n’y a rien de plus lucide que cette formule dont j’ai fait mon petit credo, à savoir "je sais que je ne sais pas".

 

Merci à Zarina Khan de sa contribution à réhabiliter un témoin prodigieux qui a su parfaitement rendre sa démesure à notre propre mesure.

Extraits de la pièce

Acte I

[...]

 

Socrate

 

Athéniens, des accusateurs viennent de s’élever contre moi. Mais je ne peux les blâmer. Ils ont été trompés par nombre d’autres accusateurs sans visage et sans nom, qui se sont emparés de leur crédulité dès l’enfance. La rumeur, drapée dans ses voiles illusoires de vérité, m’attaque depuis toujours parce que je suis en quête de mieux comprendre qui nous sommes, et que je vous appelle depuis toujours à lever tous les voiles, l’un après l’autre, qui vous séparent de vous-même, qui vous empêchent d’être vous-même, à lever les voiles de votre embarcation pour aller vers vous-même, en prenant la mer vers les autres. Beaucoup d’entre vous le savent, car je reconnais dans cette salle des visages familiers, depuis que la parole a frayé son chemin entre mes lèvres, je vous appelle à vous connaître, à entreprendre le seul voyage qu’il nous est demandé de faire sur cette Terre, le voyage vers nous, au cœur de nous, pour nous connaître, pour naître à nous avec les autres.

 

Mélétos

 

Je vous l’avais dit, il embrouille vos pensées, réfute le cadre de ce tribunal et la légitimité de ce procè !

 

Anytos

 

Défend-toi, accusé, nous n’avons que faire de tes balivernes. Crois-tu que cette assemblée réunisse tes disciples et que nous soyons là pour boire tes paroles comme tous ces enfants que tu as pervertis et dupés ?

 

Le Chœur

 

Je suis né depuis longtemps, vieux fou, comment veux-tu que je naisse à nouveau ?

 

Socrate veut nous faire naître ! Et connaître !

 

À force de suivre sa mère, la sage-femme, il se prend pour un accoucheur !

 

Rires dans la salle.

 

Socrate

 

C’est vrai, j’ai suivi ma mère Phénarète, tout petit et souvent et je l’ai de mes yeux vue accoucher nombre d’entre vous et les enfants de vos enfants. Penchée sur le ventre des femmes, je l’ai vue plus de mille fois accomplir les gestes sacrés de la mise au monde et dans la douleur et dans la sueur, j’ai accueilli, à ses côtés, les nouveaux-nés. C’est vrai, j’ai pleuré maintes fois, pris par l’émotion de la naissance, par la fragilité des êtres aux yeux fermés encore, par l’incroyable petitesse de ces corps déjà porteurs de tout ce qu’ils seront lorsqu’ils auront grandi. Souvent, alors que ma mère s’occupait des mères, les réconfortait et les lavait après leur prodigieux effort de donneuses de vie, je me suis trouvé auprès des nouveaux-nés épuisés par ce premier grand voyage vers Gaîa, la Terre. Et c’est en les regardant, en les scrutant dans leur premier sommeil que j’ai compris que ce que ma mère accomplissait pour offrir ce petit être au monde, l’aider à quitter la tiédeur et l’eau première, allait devoir s’accomplir encore et encore et que cette première naissance à la Terre allait engendrer de multiples naissances pour que le petit être naisse ensuite à lui-même, à son être. [...]

 

[...]

 

Lycon

 

La source s’est tarie Socrate, tu as irrité les dieux, leur sanction sera sévère !

 

Socrate

 

Je n’ai irrité que les hommes et seulement une part d’eux-mêmes qui refuse de se remettre en question. Il y a les lois des hommes et je les veux respecter mais non sans les réviser, les transformer au fur et à mesure des avancées de la conscience, de la science de l’être, et je suis prêt à les renier si elles doivent violer les autres. Car il est des lois non écrites sur vos tables de pierre, des lois absolues qui tiennent en équilibre les étoiles et irriguent les sillons des galaxies. C’est devant ces lois que je m’incline.

 

Mélétos

 

Et à toi seul, elles sont données à lire ?

 

Socrate

 

À chaque homme, chaque femme, chaque enfant, à chaque mouvement du vivant sur l’eau, dans l’air et sur la terre, ces lois sont données, tant que notre quête se tourne vers elles pour mieux comprendre le sens de notre éphémère passage sur la Terre et le rôle que nous avons à jouer, le temps d’une vie.

 

Anytos

 

Là encore il blasphème ! C’est sa voix, cette petite voix qu’il entend soi-disant et qui l’aide, dit-il, à trouver sa propre voie. C’est sa divinité cachée qui met en cause nos dieux et nos rites !

 

Lysias

 

Socrate, pourquoi ne songes-tu pas à ta défense ? Tu es en danger de mort !

 

Socrate

 

Ne me suis-je pas occupé toute ma vie de ma défense ?

 

Lysias

 

Et comment, mon ami ?

 

Socrate

 

En vivant chaque jour de mes soixante-dix ans, sans commettre une seule injustice.

 

Lysias

 

Tu sais aussi que les tribunaux d’Athènes ont souvent fait périr des innocents. Prend le plaidoyer que je t’ai préparé.

 

Socrate

 

Ton discours est fort beau Lysias, mais il ne me convient pas. il vise à exciter la pitié des juges. Et pourquoi craindre la mort ? Si c’est un sommeil, c’est un bonheur. Si c’est un passage vers un autre espace où l’on rencontre les héros des temps passés, quel plaisir de converser avec eux, en toute sérénité !

 

Le Chœur

 

Quelle arroance !

 

il ne craint pas la mort !

 

C’est un provocateur !

 

Il est inconscient !

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