Companie Zarina Khan Official Website

Le Dictionnaire de la Vie

Sarajevo

Préface de la Troisième édition - Mai 1997

L’aventure d’un texte théâtral est imprévisible. Lors de mon premier voyage à Sarajevo, je voulais recueillir la parole des jeunes brutalement pris dans la guerre. Dès mon retour, j’ai voulu que cette parole que j’ai rassemblée dans "Le Dictionnaire de la Vie" puisse circuler. Un texte théâtral, parce qu’il est porté par des vivants, est prédestiné à devenir un pont, dans l’architecture de la pensée.

 

"Le Dictionnaire de la Vie" s’est déjà joué dans 70 villes de France et du monde, il a été traduit dans 21 langues et cet essor ne fait que s’amplifier sur la saison prochaine. À travers les représentations théâtrales, la circulation du livre et les projections du film, ce pont que je désirais entre les jeunes de Sarajevo, de France, d’Europe et maintenant du monde est d’ores et déjà construit.

 

Espace de liberté et d’échange, mais aussi de citoyenneté et de solidarité, le théâtre joue, au-delà de mes espérances, le rôle que j’en attendais :

 

Rassemler des enfants, des femmes et des hommes de toutes nationalités et horizons politique autour du Droit à la Vie.

Zarina Khan
Auteur : François Stuck. Photo de la rue des sniper à Sarajevo

 

Sniper Avenue

Préface

« Écoutez les murs de la ville : ils tremblent ; les renverseurs de murailles ont attaqué celles de leur propre maison... »

 

Les phrases du texte d’Eschyle "Les 7 contre Thèbes" me poursuivent dans l’avion militaire qui me conduit à Sarajevo.

 

Trois ans, j’ai exploré les dédales de la ville de Thèbes assiégée, encerclée, et le tourment des deux fils d’Œdipe, frères qui vont mourir l’un dans la main de l’autre. Ce n’est pas un hasard si j’ai mis en scène "Les 7 contre Thèbes" avant d’aller à Sarajevo... où la pièce s’est déjà jouée trois fois depuis le début de la guerre, tragédie toujours contemporaine après 25 siècles.

 

Parce que le théâtre est pour moi un espace de liberté, lors de la semaine des "Rencontres Étudiantes" en octobre 1993, je suis à Sarajevo pour diriger un atelier d’écriture et de pratique théâtrale, avec des lycéens, les étudiants de demain. Le pari est fou : cinq jours pour écrire et monter le spectacle qui va clôturer les Rencontres.

 

Je viens d’arriver. Un obus est tombé à l’instant sur la Place du Marché. Je rencontre les jeunes avec qui je vais travailler. Ils ont 16 ans, 17 ans, lycéens sans lycée, issus de 6 écoles dont Gymnasia 1 et 2. Ils relèvent le défi, dans la joie et l’intensité.

Auteur : François Stuck. Emir, l'un des jeunes participants du dictionnaire de la vie de Sarajevo

 

Emir se jette dans le vide.

 

Ils sont 13. À vouloir vivre et pas seulement survivre. À vouloir dire. La gravité et le rire s’entrelacent dans notre travail comme dans la pièce qu’il va engendrer : une extraterrestre a pour mission de se rendre sur Terre pour observer le comportement des hommes et composer un dictionnaire avec les grandes définitions du genre humain. Et voilà qu’elle atterrit à Sarajevo !

 

Tout à coup, le plus important est de retrouver le sens des mots, de se redéfinir.

Auteur : François Stuck. Alma, "l’Extra-terrestre"

 

Alma

 

Qu’est-ce que c’est "être humain" ? La question est posée, à Sarajevo. Ce n’est plus aux politiques que les lycéens s’adressent. C’est aux hommes. C’est à nous.

 

Les rôles sont distribués tout seuls dans l’adéquation entre les personnages et ceux qui les ont conçus. "L’étrangère" d’une autre planète s’appelle Alma. Elle ne pouvait pas s’appeler autrement. Alma, l’âme... Elle dit : « je ne connais que les questions, pas les réponses... » Ses yeux sont noirs, comme la nuit, comme l’obscurité dans laquelle nous travaillons, et scrutent inlassablement dans les yeux des autres le mystère.

Auteur : François Stuck. Nina

 

Nina

 

L’incompréhension de cette guerre nous submerge comme des vagues qui viennent mourir sur le papier. Traces, que François Stuck recueille, réalisateur attentif, sensible aux mouvements de la vie, dans un film qui permettra à notre émotion de se propager à travers le temps et dans l’espace.

 

Pari tenu : le 5 octobre "Le Dictionnaire de la Vie" se joue au Kamerni Teatar 55 et à l’Accadémie des Beaux Arts de Sarajevo. Plus d’un millier de spectateurs rient, pleurent et chantent avec nous.

Auteur : François Stuck. Yadza

 

Yadza

 

Le soir, malgré les bombarements qui s’intensifient, ils sont tous au "Seljo Teatar" pour notre dernier rendez-vous avant mon départ. Les gens reconnaissent les jeunes du "Dictionnaire de la Vie" (la nouvelle du spectacle s’est déjà répandue dans Sarajevo) et les portent sur scène pour qu’ils donnent une troisième représentation tout à fait imprévue... Le même soir, ils sont sélectionnés pour participer au Festival d’Hiver : une nouvelle troupe est née.

 

Mais la plus grande joie est intérieure.

 

Dina, 16 ans, me dira : « Quand j’arrive à donner mon émotion aux autres, je me sens comme un vainqueur. Le théâtre, c’est notre victoire. »

Zarina Khan

 

 

Extraits de la piéce

Scène 2

L’Extraterrestre déambule tout autour de l’abri, regarde autour d’elle, tourne sur elle-même.
L’Extra-terrestre : Hé ! Il y a quelqu’un ici ?
Non, c’est une ville vide...
  De l’abri, une voix répond.
Leila : Hé ! Vous dehors, cachez-vous, vous n’entendez pas, ça tire, tout près de vous.
L’Extra-terrestre : Et alors ?
  Dans l’abri.
Les autres : Hé, venez voir une dingue !
  Ils se pressent à la porte de l’abri.
Sanja : Venez ! Entrez, vous allez vous faire tuer.
LÉxtra-terrestre : Et alors ? Qu’est-ce que cela veut dire "se faire tuer" ?
Leila : Entrez pour que nous ayons le temps de vous expliquer ce que c’est, avant que vous ne soyez tuée.
Vous voulez la réponse à votre question ?
[...]  
Auteur : François Stuck. Des mains posées tenant un livre ouvert

 

Le texte commence à naître.
Écriture et improvisation rythme l'atelier.
Les premiers textes sont lus à haute voix.

Scène 5

Nina : Ne reste pas plantée là, ta vie est en danger.
L’Extra-terrestre : Qu’est-ce que c’est, la vie ?
Nina : Tu me vois ? Tu vois cet arbre debout là-bas ? Cette souris dans le coin ? Tout ça, c’est la vie.
Nous essayons tous de rester en vie. Nous essayons de respirer, de manger, de bouger, de nous mettre à l’abri du danger.
L’Extra-terrestre : Le danger ? Qu’est-ce que c’est ?
Nina : Aujourd’hui, le danger, c’est la volonté qu’ont certains de nous enlever la vie.
L’Extra-terrestre : Si la vie est aux vivants, si la vie t’appartient, comment quelqu’un peut-il te la prendre ?
Nina : Tu as raison. Chacun d’entre nous a droit à la vie. Ma vie, c’est ce qu’il y a de plus important pour moi.
Mais ici, aujourd’hui, c’est ce qui a le moins de prix. Parcequ’une poignée d’hommes en a jugé ainsi.
[...]  
Auteur : François Stuck. Une photo du groupe avec Zarina Khan devant le théâtre Kamerni

 

Le groupe du "Dictionnaire de la Vie" devant le Kamerni teatar.
Nous sommes au cinquième jour de travail en atelier avec les adolescents,
quelques heures avant la première représentation de la pièce.

Scène 6

[...]  
L’Extra-terrestre : Pourquoi ont-ils oublié qu’ils ont une âme ?
Soldat n°1 : Peut-être que personne ne leur a dit qu’ils en avaient une.
Mustafa : Soudain, quelque chose a craqué au fond d’eux. Ils ont eu envie d’être plus grand que moi, plus fort que moi, qu’elle.
Ils ont eu envie de prendre le pouvoir et pour le pouvoir, ils ont tué et quand ils tuent, ils perdent leur âme.
L’Extra-terrestre : Pourquoi ?
Nina : Si nous étions capable de répondre à cette question, nous ne serions pas ici, dans cet abri.
Nous serions dans un autre temps, dans un autre espace.
L’Extra-terrestre : Dites-moi, comment ont-ils oublié leur âme ?
Sanja : Peut-être que la vie a été cruelle avec eux  ils ont voulu lui rendre sa cruauté, avec la même intensité.
Yaza : Moi aussi, j’aimerais connaître la réponse.
Dina : Peut-être qu’ils ne savent pas ce qu’est la mort. C’est pour ça qu’ils jouent avec.
L’Extra-terrestre : Vous, vous savez pourquoi ?
Yaza : Je ne suis pas sûre mais je les imagine enfants, avec des parents qui se battent toute la journée.
Ça développe la haine. Peut-être qu’ils n’ont jamais connu l’AMOUR.
L’Extra-terrestre : L’Amour ? Qu’est-ce que c’est ?
  Djana se lève.
Djana : C’est la nourriture de l’âme.
Sans amour, l’âme est vide.
[...]  

Cette œuvre est disponible sur commande

Le concept du "Dictionnaire de la Vie" est utilisé dans le cadre
des programmes pédagogiques proposés par la Compagnie