Transition, transition, quand tu nous tiens...

25-05-2013

Pour le 1er Forum de la transition énergétique et écologique à Villeneuve de Berg , les 13 et 14 avril 2013

 

Lorsqu'on regarde dans le dictionnaire étymologique, le premier sens du mot transition qui apparaît est : agonie.

Brrr...Froid dans le dos. L'agonie n'est pas un mot qui sonne joyeusement dans le monde des humains.

Du préfixe TRANS au delà et et de ITER cheminer, passer dans l'au delà, passer de l'autre côté...

A l'appréhension de ces notions, les peurs se dressent. L'idée de notre impermanence est là, entière. Nous sommes en transition, à chaque fraction de seconde, entre la naissance et notre mort annoncée.

Alors de quoi s'agit-il ? Pourquoi sommes nous réunis aujourd'hui ?

 

Quelle est cette transition nécessaire qui nous a rassemblés ?

 

En fait, oui, il s'agit de mourir. Mourir à une image fausse du monde qui est le nôtre aujourd'hui. Mourir à des fonctionnements à court terme qui nous ont amenés à être la première espèce sur la planète qui détruit son habitat, son environnement, ses ressources.

Mourir et faire le deuil des illusions qui ont bercé notre histoire : le progrès, le droit des hommes et des enfants, l'anéantissement de la faim dans le monde...

 

Il s'agit de regarder en face une réalité dont l'aberration nous submerge.

Dire NON, Résister, nous avons été nombreux à savoir le faire. Quand la menace approche de notre maison et qu'elle a un nom comme les gaz de schiste, oui, nous résistons, nous le faisons même à l'unisson, capables de passer au delà de nos clivages et de nos différences.

 

Dire Non ensemble, nous savons le faire devant un ennemi identifié, nommé, dont nous avons compris les enjeux mortifères.

 

Entrer en transition, c'est plus délicat, c'est déjà partir de la conscience de notre propre mort pour réviser notre mode de VIE. Et alors dire OUI à la transition, c'est carrément faire face au plus grand ennemi qui ait jamais voulu nous nuire : nous mêmes.

 

Moi, toi, nos certitudes, nos convictions, nos principes, nos rêves,

toutes les structures de nos maisons intérieures sont à étaler, comme un château de cartes qu'on remet à plat, pour regarder les cartes et envisager une autre façon de les reconstruire. Élaborer une architecture qui me conviendra et à toi et à nous et pas seulement aujourd'hui mais demain et après demain, une architecture qui me permettra de prévoir que d'autres vont entrer dans le château, d'autres qui ne sont pas encore nés.

 

Les cartes du château sont tissées de notre chair, de notre sang, de la matière de nos expériences. Le château 'est la terre, c'est notre maison à tous, Oïkos, qui a donné naissance à ces mots nouveaux : Économie, la gestion de notre maison, écologie, le « mesnage » de notre maison et son aménagement.

 

J'emploie ici le mot « mesnage » comme Olivier de Serres, notre agronome visionnaire, qui est né ici à Villeneuve de Berg il y a quatre siècles, qui a arpenté les rues, la place où nous nous trouvons et écrit en plus de mille pages son ode à la vie : Théâtre d'agriculture et mesnage des champs ».

Ce titre nous dit déjà que le mesnage que nous avons à faire dépasse de très loin les limites de nos petites maisons individuelles.

 

Olivier nous appelle à regarder TOUT ce qui nous entoure et les contrées les plus lointaines, comme notre propre maison. Et il nous rappelle que tout est théâtre, que notre vie se déroule sur une scène, un espace sacré qui n'appartient à personne et à tous et dont nous sommes, chacun les « mesnagers ».

 

Le théâtre est un art qui ne peut naître seul. L’œuvre appelle une équipe pour prendre forme, les auteurs, les acteurs, le metteur en scène, les techniciens. Dans cette équipe,chacun a une responsabilité fondamentale, car si l'éclairagiste n'a pas été attentif à chaque câblage,à chaque ampoule de chaque projecteur, la plus belle œuvre du monde sera plongée dans le noir...

 

Oui, mourir à soi, à un soi abîmé par les frustrations, les humiliations, les tracas de l'existence, épuisé par ses erreurs, par l'inégalité et l'injustice, pour renaître au moi encore intact, qui entre enfin dans l'équipe de la cité, pour que la vie gagne.

 

Ma vie, la tienne, la nôtre et celle à venir de tous ceux qui ne sont pas encore nés.

Moi, toi, nous, vous, réunis dans le seul élan qui anime depuis la nuit des temps notre condition humaine : être en vie, naître à l'envie d'être, avec chacun des autres, gardiens de la vie.

 

C'est ce passage qui nous appelle aujourd'hui et demain et après demain, c'est cette agonie bienfaisante à nos fonctionnements anciens qu'il nous appartient de regarder en face pour en faire le deuil et passer, pour créer un changement pérenne et vigilant.

 

Nous sommes responsables, non pas coupables mais responsables des situations extrêmes qui agitent notre maison la terre, et nos maisons intérieures tremblent sur leurs fondations fragiles.

 

Partager ce regard sur nos erreurs réversibles c'est déjà entrer en transition et apprendre, s'apprendre mutuellement à mettre en œuvre les transformations nécessaires.

 

La petite sœur à naître de la transition, c'est la transformation, la forme nouvelle que nous donnerons au monde à travers chacun de nos gestes. Mais la petite sœur n'est pas encore née ni même conçue. Et elle ne peut se concevoir qu'en chacun de nous. Elle ne peut naître qu'en chacun avant de transformer ce qui est à l'extérieur de nous. Parce que nous savons que nous voulons donner vie à cette transformation du monde,, nous trouverons le courage, de mourir, de passer de l'autre côté et nous transformer.

 

Et de l'autre côté, une fois les peurs du passage surmontées, nous attendent des surprises sans nom, des surprises inattendues qui réjouissent les passeurs courageux !

 

Alors, OUI mourons, passons, traversons, renaissons ensemble, notre maison la terre, dans son infinie sollicitude, nous attend.

 

Zarina Khan