Valorisation du patrimoine

La méthodologie de " l’empreinte "

En 2000, après vingt ans d’expérience au sein de la Compagnie Zarina Khan de Paris, Zarina Khan a souhaité développer l’axe "Ville–Campagne" et a créé un nouveau programme : Patrimoine et Développement durable, qui s’est ajouté à ceux de la Compagnie.

1. La méthodologie

Le concept d’Itinérance Théâtrale créé pour la mise en œuvre de ce projet a permis d’élaborer une méthodologie innovante de valorisation du patrimoine fondée sur trois axes :

1.1. La vulgarisation scientifique

Le rapprochement entre le regard que l’on peut porter sur un site, l’émotion qui s’en dégage et la vision des scientifiques est la première étape du travail. Georges Naud, géologue et anciennement Conservateur du Musée de la terre de Privas nous déclare lors de notre première rencontre, que le savoir scientifique ne peut toucher le grand public que si la poésie en est le passeur. Notre approche va dans ce sens : ouvrir les yeux sur l’invisible, sur ce qui a été et qui n’est plus, et dont les chercheurs mesurent cependant et quantifient les traces. Comprendre que la terre naît, grandit, s’élève, stagne, s’inverse dans ses reliefs, bouillonne et réagit sans cesse aux affrontements des éléments qui la bouleversent, est l’occasion pour les humains qui vivent une étape de la construction du monde de s’inscrire en elle, et de se resituer dans l’histoire du monde.

1.2. Le regard des habitants, porteurs de mémoire et d’avenir

Qui d’autre que les habitants d’un village peuvent être les meilleurs porte-parole d’une mémoire familiale qui remonte parfois à des centaines d’années, des légendes et contes transmis de génération en génération, des anecdotes personnelles qui, racontées autour d’un feu éclairent tout à coup les livres d’histoire les plus touffus et colorent toute la vie d’une contrée ? C’est pourquoi l’élaboration d’une Itinérance Théâtrale ne peut se faire sans de nombreuses rencontres conviviales avec les habitants du village et des alentours. Leurs rêves, leurs visions de leur site, dans un futur qui les dépasse et pourtant qui dépend d’eux, sont des éléments essentiels pour tisser les mots du texte théâtral et donner vie aux voix des interprètes de la Visite.

1.3. Le développement durable, le tourisme et le cadre Culture-Agriculture

La traversée artistique d’un village, si elle s’appuie sur la science, le vécu des habitants et leur mémoire, est aussi ouverte à "ceux qui passent", à ces nomades du monde moderne, qui, sous prétexte de vacances, sont cependant tous en quête d’émotions qui vont structurer leurs voyages et allier l’enrichissement de leur regard sur le monde, à la découverte des beautés et des saveurs d’un terroir nouveau. C’est ainsi que la synergie des secteurs concernés sur un même site s’harmonise autour des Itinérances. Producteurs, agriculteurs, commerçants, acteurs du tourisme et du social, s’allient alors dans une dimension qui dépasse les convictions politiques, religieuses et les catégories sociales : l’Art et ses espaces multiples qui rapprochent les premiers hommes des derniers.

 

Le caractère innovant de ce concept s’enrichit d’une spécificité toute particulière : tout le parcours est conçu pour que les visiteurs qui découvrent le site et apprennent à lire les marques du temps, passent de l’état de spectateur, celui qui regarde, à l’état de "créateur de traces". Invités à écrire, les spectateurs conçoivent eux-mêmes la fin de l’Itinérance Théâtrale :

 

« Comme vos ancêtres ont dessiné sur les parois des cavités dans les falaises, la beauté de ce qu’ils voyaient, pour qu’elle vous soit transmise, posez sur l’écorce de cet arbre devenu papier un mot, une phrase, un signe de votre main tracé, un souvenir, une émotion, un paysage. »

 

Les visiteurs alors écrivent, posent leur empreinte. Après avoir lu les empreintes des mammouths et des premiers hommes, leur écriture leur est immédiatement restituée et prend place dans l’œuvre artistique et dans la continuité du temps de la Terre.

 

« Si ce papier, un jour prochain, comme nous, au cœur de la terre, redescend, moi, mémoire de toujours et d’antan, je sais que, comme les stries nacrées des coquillages, vos mots seront dans le sable fossilisés, ciselés à travers les âges. Je vois un jour lointain, dans un monde dont nous ne savons rien, des êtres qui sur les coquillages de vos mots se penchent et s’émerveillent. Et je les entends dire, dans une langue étoilée d’autres planètes : regarde que c’est beau ! Mirabel ! »

 

Le patrimoine s’est alors enrichi et modifié sous le regard actif des visiteurs qui eux-mêmes s’inscrivent alors en tant qu’individus dans un "patrimoine vivant" dont ils sont responsables et garants.

2. L’évaluation

Dans le cadre de cette recherche, la Compagnie a mis en place à partir d’un questionnaire et des rencontres, une grille d’évaluation, qui permet de travailler à la compréhension des publics qui se mobilisent, par générations, secteurs professionnels, appartenance à la vie associative. Cette grille permet de quantifier l’élargissement des publics tout en analysant les secteurs concernés.

 

Réunions bilans avec les élus, habitants et financeurs et la rédaction de rapports rythment l’évolution du projet sur le territoire et donnent au fur et à mesure les éléments d’analyse nécessaires afin de prendre en compte les souhaits spécifiques de la politique de développement durable, par territoire et d’atteindre les objectifs du programme, par phases.

3. Création d’une circulation à travers les espaces du patrimoine pour

  1. Rassembler ruraux et urbains d’aujourd’hui sur un patrimoine régional
  2. Fédérer les populations autour de projets culturels innovants
  3. Faire naître de futures initiatives

Les objectifs des Itinérances Théâtrales sont sous-tendus par une démarche cohérente de construction à long terme. Car s’il s’agit de contribuer au développement culturel et économique d’un territoire en y créant une attraction durable, encore nous semble-t-il nécessaire d’avoir un souci éthique clair concernant la mise en place de véritables échanges entre des personnes issues d’horizons différents. Celles qui se rendent aux Itinérances Théâtrales ne sont pas traitées en simples consommatrices de culture ou de produits du terroir. Des échanges ont lieu, des liens se tissent et chacun devient concerné par la vie de la région dont on découvre les potentialités à travers les questions et les désirs partagés, pour que villes et campagnes redécouvrent leur unité fondamentale.

 

Le projet d’étendre les Itinérance Théâtrale à d’autres sites ne peut se concevoir que dans une perspective de décloisonnement des espaces et des milieux. Ce décloisonnement s’opère à deux niveaux :

  • Ouvrir les habitants, c’est-à-dire la population locale à d’autres sites, c’est créer une circulation inter communes et rapprocher des gens qui vivent proches les uns des autres sans pour autant avoir l’occasion de se fréquenter.
  • Accueillir la population urbaine, l’emmener à travers un parcours qui tient compte de la diversité d’un même territoire, c’est permettre aux citadins de constater que les grandes questions qui les concernent ne se posent pas différemment dans les milieux ruraux, voire y prennent des formes bien plus parlantes (environnement, isolement, emploi, etc.).

 

Choisir des lieux forts en mémoire pour les itinérances n’est pas anodin. Le patrimoine géologique et historique est aujourd’hui un patrimoine humain autour duquel, plus qu’ailleurs, les gens sont susceptibles de se retrouver et de se concerter pour faire vivre leur région. L’atelier d’écriture conclut certes les spectacles, mais initie en même temps l’action à venir en démontrant que chacun à son mot à dire.

 

C’est pour cela que nous mettons en place, dans la continuité des Itinérance Théâtrale, des ateliers d’écriture et de pratique théâtrale, qui réunissent ruraux et urbains dans la construction d’œuvres communes, qu’elles prennent pour support le théâtre, le livre, ou la production audiovisuelle. Ensemble, les habitants et les vacanciers ont à créer un répertoire commun dont le territoire qu’ils partagent épisodiquement est la source et le lien.

 

Ce projet n’abonde pas dans le sens des préjugés et des rapports artificiels du cadre touristique. Il travaille à la mise en valeur d’une sagesse commune où chacun à sa place pour défendre les intérêts économiques, de l’environnement, de la qualité alimentaire, de la santé et du bien-être. C’est une solidarité à mettre en place.

Découvrez les Itinérances Théâtrales de Zarina Khan

4. "Les Chercheurs d’Or" : une mise en œuvre plus pédagogique

En 2007, la Compagnie Zarina Khan Grand Ouest met à l’essai un nouveau concept qui est au carrefour de la méthodologie de l’empreinte et des ateliers d’écriture et de pratique théâtrale : "Les Chercheurs d’Or".

 

À l’instar des Itinérances théâtrales, il s’agit de créer une œuvre sur le patrimoine d’un lieu ou d’une région donnée, mais cette fois-ci, la démarche de recherche et de création se fait avec la participation active des habitants et en particulier des enfants.

 

Ce sont eux qui vont à la rencontre des anciens, de leur voisin, des conservateurs de la mémoire du lieu où ils vivent. Ils découvrent ainsi par eux-même la richesse de leur patrimoine et la racontent ensuite lors d’ateliers d’écriture et de pratique théâtrale, animés par la Compagnie. Les textes issus de ces ateliers, habilement tissé par Zarina Khan, vont permettre la création d’une œuvre théâtrale qui sera ensuite proposée sur le territoire.

 

Le projet "Les Chercheurs d’Or de la pointe d’Étain", mené en Bretagne avec les enfants des Centres de Loisir des trois communes de Férel, Camoël et Pénestin, a été un franc succès puisqu’il a été élu "Plus beau projet du Morbihan" par la Fondation de France dans le cadre des projets "S’unir pour agir" en 2008.

 

Depuis septembre 2009, c’est cette fois la Compagnie Rhône-Alpes qui expérimente le concept sur le Pays d’Aubenas-Vals en Ardèche, avec les enfants du collège et des écoles de Vals-les-Bains : "Les Cherceurs d’Or au pays de la première image".