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Essabar

ou l’Abris de l’Être

Affiche d’Essabar

Sélectionné au Festival International de Films de Femmes de Créteil 2002

1. Synopsis

Un projet, une mission, un voyage pour des personnes en stage d’insertion : construire une école itinérante, dans le désert, chez les Touaregs.

Pour Tita, Chantal, Nunja, Grégory et tous les autres, la première traversée est intérieure. Le désert, qu’est-ce que c’est ? Dans l’atelier d’écriture chacun explore son propre paysage. Le désert, c’est le vide qui menace et dont nous cherchons chaque jour à repousser les limites, c’est l’abandon, l’errance, l’absence de repères, l’absence de la mère, c’est le défilé des hommes et des femmes qui font semblant de faire les gestes de la vie.

Le voyage intérieur ouvre sur le désert, au nord du Mali.

Depuis les accords de 1995, la fraction des Touaregs d’Echag s’emploie à consolider le "bain de paix", par l’éducation. Les instituteurs de l’école sont des maliens sédentaires ; ils ont fait le choix de suivre les nomades du désert, « pour que l’école soit le puits, l’eau, et qu’elle puisse abreuver de connaissances le plus grand nombre d’enfants. »

Au sein du groupe, chacun formule sa rencontre avec le désert. Traversée d’un espace où l’avoir est réduit au strict minimum, où il s’agit d’être, enfin, c’est l’histoire d’Essabar. Chacun s’interroge, sur le sens de l’école, sur la construction de la paix, chacun tente de devenir acteur, de la modification de soi et du monde. Nunja renoue avec l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, Tita puise dans ses origines algériennes et offre des mots de paix, Grégory avance dans la recherche de la réconciliation. Enfin Chantal surmonte son handicap, dit sa douleur de la différence, et sa joie d’être utile.

2. Le sujet

Essabar, c’est une natte tressée avec la paille fragile du désert. Elle se déroule pour abriter le feu du vent, pour protéger du froid les voyageurs qui s’arrêtent sous les étoiles. Elle devient, le temps des haltes, le seul repère dans l’immensité de sable. Essabar, c’est l’abri que l’être se tresse lui-même lorsqu’il n’a plus d’autres références que le ciel au-dessus de sa tête et la terre à fouler de ses pas.

De jeunes adultes explorent leur désert intérieur lors d’ateliers sur la plate-forme d’insertion de Romans dans la Drôme. On les retrouve dans le désert du Mali chez les Touaregs, confrontés à un espace où l’avoir est tellement restreint qu’il s’agit d’être, enfin. La rencontre entre ces exclus du système et des hommes libres est le sujet du film. Permettre à chacun de tresser son abri intérieur, de dérouler les "Essabar" pour relier l’immensité des solitudes, en est le pari.

3. Note de la réalisatrice

Nomade.

Je le suis moi-même.

Ma mère russe a traversé la moitié du monde pour rencontrer mon père indien et me concevoir, dans un pays qui avait juste sept ans de plus que moi : le Pakistan. Être née d’une telle rencontre m’a enlevé de fait tout sentiment d’appartenance à une terre. Après avoir vainement cherché à me poser pour ressembler aux autres et dire « ici c’est chez moi », je me suis rendue à l’évidence : je ne trouverais pas de repères culturels ou géographiques.

S’est ouvert alors le voyage de ma vie à travers des espaces toujours vierges pour moi d’histoires personnelles. Il m’a fallu marcher, m’arrêter pour "nourrir" mon pays intérieur, repartir pour trouver ce qui manquait lors de ma halte précédente.

Accepter d’être, sans autre référence que le ciel au-dessus de ma tête, qui fait le jour et la nuit et orchestre le rythme des saisons, sans autre repère que la terre à fouler de mes pas.

Quand la sécurité d’un espace est impossible, quand on ne peut raccrocher son histoire personnelle à celle d’une collectivité qui parle d’elle-même à travers ses murs, ses mots, ses rituels, une seule voie demeure possible : la liberté.

De l’avoir trouvée m’a menée vers ceux qui se sentent enfermés, pour leur permettre de se dégager d’une sécurité matérielle illusoire, et trouver en eux-mêmes le voyage intérieur qui élargit la vision et repousse les limites du concret. Dans les cités, dans les déserts de béton, j’ai trouvé des frères. Des frères entre quatre murs sans histoire ou tout reste à créer. Depuis des années, j’ouvre des ateliers pour que jaillisse la beauté de chaque pays intérieur, seul repère indépendant des valses-hésitations d’un monde régi par des lois économiques.

Dans Essabar, j’ai demandé à l’image de capter la trace de ces voyages intérieurs.

4. Fiche technique et artistique du film

Essabar ou l’abri de l’être

Durée du film : 90 minutes
Format : Vidéo, 4/3, couleur, mono
Réalisation, Scénario, Ateliers : Zarina Khan
Directeur de la photographie : Eric Peckre
Ingénieur du son : Gérard Vicot
Montage image : Candice Labarthe
Assistant son : Cyril Rubinstein
Mixage : Jean-Guy Véran
Studio : Mac’Tari
Conformation image : Jean-Pierre Calduk, Image Resource
Les acteurs principaux :
Chantal Roland
"Tita", Saleha Hamri
Avec la participation :
Ministère de la Culture et de la Communication
Le Fonds d’Action Sociale aux travailleurs immigrés et à leurs familles
Fondation Gaz de France
Associations Prasad et Echagill
Musiques :
Fabienne Noée
Extraits de Sagesse et Omnia Vincit Amor
Le Tendé d’Echaghill
Groupe Évasion
El Canto del Pilon
Production et Distribution : Zarina KhanProductions

 

© Zarina Khan Productions 2001

5. Entretien paru dans "Horizon Maghrébins"

Réalisé par Mohamed Habib SAMRAKANDI, directeur de la revue "Horizons Maghrébins", président du C.L.A.P Midi-Pyrénées ; et Christian LE BARS, poète, concepteur et animateur d’ateliers d’écriture.

 

Question : Zarina Khan, vous animez des ateliers d’écriture et de pratique théâtrale depuis une vingtaine d’années. Vous avez réalisé deux films. Comment articulez-vous le recours à l’écriture, la parole théâtrale et les images du 7ème art ?

 

Zarina Khan : L’écriture est le fondement de ma méthode d’ateliers, c’est elle qui va ensuite se décliner dans la partie théâtrale puis être mise en images. Qu’elle soit orale lorsque je travaille avec des analphabètes, ou posée sur le papier, l’écriture permet de se recentrer sur soi, d’être seul, face à soi, comme devant un miroir de l’être. La présence des autres qui se concentrent sur eux-mêmes et écrivent tout autour est un encouragement très fort à se dévoiler et se poser sur le papier. C’est l’un de ces moments rares où on peut être seul, centré sur soi et à la fois se sentir "avec" les autres.

À l’écriture solitaire succède immédiatement la pratique théâtrale dans le cadre d’une improvisation collective.

Deux notions nouvelles surgissent alors :

  1. l’écriture du corps dans l’espace scénique, qui raconte une histoire sans mots qui vient s’ajouter, renforcer ou contredire ce qui va se raconter oralement ;
  2. le rapport à l’autre, partenaire de l’action, acteur nécessaire à l’élaboration de sa propre histoire. L’interaction entre les acteurs permet à chacun de prendre conscience de sa situation dans le groupe, et surtout que l’histoire de son personnage se construit à travers celle des autres et avec eux.

L’aboutissement de l’atelier est toujours une œuvre, qui va rencontrer un public et ainsi permettre au groupe de s’ouvrir au monde et de partager le fruit de ses découvertes. Lorsqu’il y a un film à la clef, écriture et pratique théâtrale font toujours partie intégrante du processus et le choix de faire un film est lié au désir de faire circuler les messages du groupe de façon plus fluide et précise dans le monde.

 

Question : Une petite fille de Ramonville Saint-Agne (de l’établissement spécialisé pour handicapés) vous a écrit après avoir vu votre premier film. Vous lui avez répondu, l’avez rencontrée, et vous l’avez intégrée dans le groupe de la plate-forme d’insertion de Romans. De spectatrice, elle est devenue actrice. Ce cas illustre-t-il l’idée de devenir acteur de sa vie ?

 

Zarina Khan : L’histoire de Chantal Roland est exemplaire du sens de l’œuvre pour moi. Je cherche toujours à inverser le rapport du spectateur à l’œuvre représentée. Il s’agit pour lui de faire grandir en lui le créateur qui regardant les acteurs, effectivement ressort de la salle de cinéma avec le désir de devenir l’auteur, l’acteur et le metteur en scène de sa propre vie. Spectatrice, Chantal a fait une démarche d’actrice, est entrée dans l’action, et est devenue à son tour actrice dans le film Essabar, qui devrait donner à d’autres ce même désir.

 

Question : "Le Dictionnaire de la Vie" a été réalisé à Sarajevo pendant l’état de siège. Il s’agissait de répondre à la question : « qui suis-je ? » Vous dites que votre démarche est entièrement fondée sur l’instant de la rencontre. Qu’entendez-vous par là ?

 

Zarina Khan : L’atelier d’écriture et de pratique théâtrale que j’ai ouvert à Sarajevo pendant la guerre et qui a donné naissance au "Dictionnaire de la Vie", s’est fondé sur les questions essentielles. Le besoin de se définir en tant qu’être humain pris dans la négation de l’humain qu’est la guerre l’a emporté. C’est un des jeunes participants qui a donné le ton : Mustapha en début d’atelier m’a demandé : « Est-ce que l’écriture et le théâtre peuvent m’aider à savoir qui je suis ? » Je lui ai demandé alors pourquoi il était si important de savoir qui on est lorsqu’on a 16 ans à Sarajevo. « Si je sais qui je suis et que je dois mourir, c’est moi qui vais mourir. Sans cela, c’est "personne" qui va mourir. Si je dois mourir je veux au moins que ce soit "moi" qui meure. »

C’est ainsi que j’ai inventé le personnage de l’extra-terrestre qui a pour mission de composer un dictionnaire de l’humain et qui questionne avec innocence les humains jusqu’au mystère...

« Qui suis-je ? » et « Qu’est-ce qui est le plus important pour moi, pour nous ? » sont les deux questions-clefs de chaque atelier. Mais c’est toujours dans les premiers échanges de la rencontre et de l’instant de la rencontre que se dégagent les thèmes fondamentaux qui vont construire la trame de l’œuvre. Il s’agit d’arriver à la rencontre complètement ouvert, comme un vase à remplir, de ce qui est, dans ce temps et cet espace.

 

Question : Votre formation de philosophe est à l’arrière-plan de votre travail. Le film "Essabar ou l’abri de l’être" fait référence à la pensée de Heidegger selon qui le langage est l’abri de l’être. "Essabar" signifiant "les murs mobiles", l’être serait-il nomade ?

 

Zarina Khan : Oui, l’être est nomade. Un nomade par définition n’a pas de terre, ne s’arrête pas sur une terre pour s’y installer. Il est en mouvement sur la terre qui est en mouvement. La terre dans son entier lui appartient et il appartient à cet ensemble en mouvement qu’il traverse par son propre mouvement. C’est pourquoi "l’être" est fondamentalement nomade. La vie n’est qu’un passage, pendant lequel l’ être traverse l’espace-temps de sa propre vie mais rien en lui ne se fige, ne s’installe jamais. À cette notion d’explorateur de sa propre terre qu’il porte en lui-même, s’ajoute dans la définition du nomade celle de "faire paître" ses bêtes, moteur du perpétuel déplacement. Ce qui caractérise l’être, n’est-ce pas justement que sa traversée le nourrisse, nourrisse ce qui lui permet de continuer à vivre ? Oui, l’ être le plus sédentaire demeure absolument nomade. C’est pourquoi l’abri qu’il élabore tout au long de sa traversée est mobile et qu’il peut, à partir de cette conscience, se libérer de la peur, des peurs.

 

Question : Toute votre action actuelle ne découle-t-elle pas de votre enfance en Tunisie ? Née d’un père Pakistanais et d’une mère Russe, vous avez fréquenté l’école laïque française. Vous définissez-vous comme un être sans frontières et sans identité figée ?

 

Zarina Khan : Je suis un être sans frontières et sans identité figée. Le cadeau m’a été fait à ma naissance. Dans mon berceau déjà me berçaient les cultures de trois continents sans cesse entrelacées : l’Asie, l’Afrique, l’Europe. Mon identité est planétaire. Les langues, les musiques, les religions du monde ont en moi convergé pour tisser mon Essabar dense et coloré. Même si je le voulais, je ne pourrais en séparer les fils. Et pourquoi le voudrais-je ? Le trésor qui m’a été donné ne se refuse pas : c’est la liberté. J’ai gardé de ce tissage, de ce métissage, la conviction que la laïcité doit être l’espace qui permet la dimension verticale de l’être. Dans ma pratique, l’art est cet espace sacré qui permet à l’être de se tenir debout, trait d’union entre la terre et le ciel. Mon pays est devenu l’art ; le "véhicule" qui permet de le visiter, la création. Et chacun d’entre nous a le droit de le connaître, de naître à lui, en lui.

 

La Tunisie, terre natale de toutes ces convergences, m’a apporté la douceur de ses lumières, de ses parfums, de ses chants et de ses couleurs, elle a éveillé en l’enfant que j’étais tous mes sens à la beauté de ce qui est. Encore un trésor !

 

Question : Un des jeunes dit : « Le désert, c’est moi-même. Le désert, c’est la douleur d’être loin de ma famille. » Ces jeunes, désaffiliés et atomisés socialement, vous les avez amenés au Mali pour participer à la construction d’une école. Peut-on dire que vous les avez conduis "au désert" ? Qu’a-il résulté de cette expérience ?

 

Zarina Khan : Votre question reprend les phrases des jeunes de Romans en atelier d’écriture, définissant leur propre désert. J’ai voulu qu’avant de partir au Mali rencontrer les Touaregs les jeunes voyageurs explorent leur propre désert avant d’être confrontés au désert qui allait les entourer, les envelopper. Qu’ils se confrontent à leur propre immensité. Déscolarisés pour la plupart, analphabètes pour certains, il me paraissait important qu’ils découvrent, dans la construction concrète d’une école pour les enfants touaregs, leur soif d’apprendre, inassouvie, qu’ils comprennent, dans l’acte de bâtir, que l’école est le puits où on pourra toujours s’abreuver, trouver la nourriture de l’être et les outils pour la cultiver. Il est prématuré de se prononcer sur le résultat. Pour certains, le but est déjà atteint, pour d’autres je n’aurai les retours que plus tard mais là, peut-être pour la première fois, le temps joue pour eux et non contre. Les chemins sont ouverts.

 

Question : Vous pensez que « l’école, c’est le lieu par excellence où se construisent les êtres et qu’elle est le dernier bastion de la démocratie. » Quelles relations entretenez-vous avec l’Éducation Nationale ?

 

Zarina Khan : L’Éducation Nationale soutient la plupart de nos projets. Notre association a "carte blanche" dans les établissements scolaires. Mais les relations avec un Ministère ne sont en réalité que les relations avec des personnes et à chaque niveau il y a, à l’Éducation Nationale, des personnes qui comprennent et soutiennent. Le réseau cependant qui porte vraiment nos actions est celui des enseignants. C’est le "terrain" qui est le plus important, et les projets ne peuvent se construire qu’à partir de "la base" pour être ensuite reconnus par "le haut".

 

Question : Alors que votre démarche va à l’encontre des modèles institués par les gestionnaires du "marginal", comment s’est établi votre partenariat avec la Fondation Gaz de France ?

 

Zarina Khan : Là encore, la Fondation Gaz de France s’est manifestée à travers "la personne" qui la dirige et l’anime : Elisabeth Delorme. Son écoute, son attention "à chaque être", est exceptionnelle. La Fondation Gaz de France a fait le pari que les mots, l’écriture, la trace, ne peuvent que structurer ou restructurer des êtres que leur parcours personnel a pu emmener à la dérive. En cela, nous étions parfaitement en phase. La Fondation soutient et encourage toujours les sentiers des randonneurs, à travers la France, pour que les marcheurs découvrent les mille et une beautés de la Terre. À cette action concrète, elle a voulu ouvrir "les sentiers de l’esprit". Et c’est alors que nous nous sommes rencontrés. J’ai été très touchée de cette complémentarité. J’apprécie également le fait que ce partenaire nous accompagne sur la durée, ne se satisfait pas d’actions ponctuelles ou prestigieuses, mais travaille sur la "profondeur", et qu’au-delà de l’aide financière, il y a un réel échange et une mise en commun d’une réflexion qui fonde nos actions en partenariat.

 

Question : Vous semblez être l’équivalent de ce que dans la Grèce antique on appelait "les maîtres de vérité". Y souscrivez-vous ou récusez-vous ce point de vue ?

 

Zarina Khan : Si vous rejoignez Socrate et la "maïeutique", le fait que le maître n’est qu’un accoucheur des vérités que chaque être porte au fond de lui, je veux bien faire partie de ces sages-femmes qui mettent au monde "le plus beau de l’être". Ma pratique m’a permis d’assister à tant de "naissances" que je reste, en toute humilité, dans ce permanent émerveillement de l’être qui naît à lui-même, chaque jour au matin de sa vie, nouveau-né à lui-même et aux autres, fort de la conscience de sa fragilité, inépuisable tisserand de son Essabar.

6. Interview : magazine "Champs Culturels"

Philosophe, écrivain et metteur en scène, comédienne, Zarina Khan puise dans ses différents passages entre l’Orient et l’Occident sa relation aux autres, au cosmos et à la création artistique.

Installée depuis un an en Région Rhône-Alpes, elle a choisi le département de l’Ardèche, pour confronter son expérience du milieu urbain aux problématiques des espaces ruraux. Ses actions s’inscrivent déjà dans une dynamique régionale : c’est en tissant des liens entre des ateliers d’écriture ici et ailleurs qu’elle souhaite extraire cette richesse d’expressions pour ses matériaux de création. Elle participe à une opération régionale dans les lycées agricoles "Mémoire et Création" qui consiste à faire collaborer artistes et enseignants dans le montage de projets pédagogiques. Les ateliers d’écriture que conduit Zarina Khan seront restitués lors d’une rencontre régionale inter-lycéens et dans l’édition d’un livre. Elle s’appuie sur une méthode expérimentée dans des contextes où l’expression devient un enjeu social voire politique. Elle pourrait faire de "Mémoire et Création" un dictionnaire des échanges villes/campagnes comme elle fit "Le dictionnaire de la vie en 1997 à Sarajevo.

Plus récemment, elle a orchestré la rencontre entre des jeunes en insertion et des Touaregs au Mali, et ce sont ces ateliers d’écriture qui ont favorisé les échanges et permis l’écriture du film "Essabar".

Nous avons souhaité nous entretenir avec Zarina Khan sur ses expériences de l’interculturel et plus particulièrement sur son film "Essabar" qui ouvre de nouvelles perspectives aux objectifs de la coopération internationale.

Début de l’entretien

À la demande de la plate-forme d’insertion par l’humanitaire de Romans, vous avez refusé de vous limiter à un accompagnement de voyage au Mali. Pourquoi ?

Les stagiaires en insertion ont tous eu des parcours personnels difficiles. La vertu transformatrice d’un voyage ne m’a jamais paru suffisante. Pour pouvoir sortir de l’enfermement dans lequel l’être se réfugie à la suite de certaines blessures, il lui faut tout d’abord exprimer, poser sur le papier, dans l’espace scénique, cet autre miroir de lui-même, faire une pause dans le voyage parfois chaotique de la vie, et comprendre ce qu’il va chercher dans le voyage réel. C’est pourquoi j’ai proposé tout d’abord d’explorer, dans des ateliers d’écriture et de pratique théâtrale, le désert intérieur, symbolique de chacun, et d’aller ensuite chez les "hommes bleus" du désert, les Touaregs, au Nord du Mali, porter les "miroirs" ainsi recueillis.

 

Le travail en ateliers d’écriture avec les Touaregs laisse entrevoir un autre type d’échange dans la coopération internationale ?

Souvent, la coopération sous-entend que l’occident a une aide matérielle à apporter dans les pays en voie de développement. En replaçant la Culture au centre du projet, à la notion d’aide, on substitue celle d’échange réel, entre des êtres que relie la recherche du sens de la vie, d’enrichissement mutuel, dans le cadre de la construction d’une œuvre commune. La traversée de l’écriture en commun, de la création, a permis aux Français et aux Touaregs de dévoiler leurs différences tout en faisant émerger l’universalité de l’être. Il s’agit alors d’une rencontre qui prend tout son sens parce qu’elle modifie en profondeur les structures des êtres qui se sont ainsi apprivoisés, et fait battre en retraite tous les préjugés sur le Nord et le Sud. Richesse et pauvreté  ouvrent sur les notions de "dépendance" et de "liberté". Un être humain qui ne mange pas est en danger, comme celui qui ne trouve plus de goût à la vie parce qu’il en a perdu le sens. Le chef Touareg a préféré choisir d’abord  la construction d’une école plutôt que celle d’un puits car l’école est le puits ou l’être vient abreuver sa dignité, sa liberté. Ce fut une révélation pour les jeunes Français, pour la plupart fâchés avec l’école.

 

Votre film nous interpelle et nous fait réfléchir sur de nouvelles relations à mettre en œuvre dans les actions humanitaires.

Il est dit par une stagiaire dans le film : « Humanitaire, deux en un : humain et terre. » L’enjeu de l’humanitaire, c’est l’humain, tous les humains et toutes les terres de la Terre. Il s’agit de revisiter  "l’avoir" à travers "l’être". Alors, l’humanitaire prend toute sa valeur d’échange. Ma conviction a trouvé confirmation à Sarajevo lorsque j’ai ouvert un atelier d’écriture pendant la guerre, en 1993. Une femme est venue me dire lors de la création du "Dictionnaire de la Vie" : « Les animaux ont besoin de manger pour survivre. L’humain ne peut se contenter de survivre, il en meurt. Vivre, c’est s’exprimer, communiquer sur l’essentiel, déposer dans la mémoire du monde sa trace unique et humble de créateur. » Le Droit à l’expression fait partie de la convention internationale des Droits de l’Enfant, la dignité de l’Humain passe par la Création. Nous avons à reconnaître que lorsque nous partons en mission humanitaire, nous allons recevoir bien plus que nous n’allons apporter. La Culture, (l’inter-culture), doit être au cœur de tout projet dit humanitaire.

 

Pourquoi faire un film dans le cadre d’une action de réinsertion sociale ?

Un film est une œuvre d’art. L’art est le réceptacle de la Mémoire, des mémoires. C’est le miroir de l’être qui permet aux humains de se reconnaître par delà les siècles. Se "réinsérer", c’est d’abord prendre conscience qu’on participe à l’histoire du monde, qu’on a un rôle à y jouer, une place à y prendre, et que cette place est à créer. L’œuvre à laquelle chacun participe, permet de revaloriser des êtres qui ont été étiquetés comme "incapables", et qu’ils se resituent dans l’espace social avec tout leur potentiel d’auteurs, d’acteurs, de créateurs de leur propre vie. La traversée de la Création permet cett prise de conscience et d’autonomie.

 

Comment pensez-vous que ce film puisse être utilisé dans l’enseignement agricole ?

J’ai conçu "Essabar ou l’abri de l’être" pour qu’il puisse préparer des élèves à construire des projets de coopération internationale, à réfléchir à tous les paramètres d’une actiond’échange, mais aussi tout simplement à retrouver le sens de l’école, de leur apprentissage et comment cet apprentissage de la terre s’inscrit dans leur projet de vie. Après avoir vu Essabar, des élèves du Lycée agricole de Cibeins m’ont écrit : « Nous avons compris que nous sommes au Lycée pour apprendre, pas seulement des matières et des outils mais pour apprendre la Vie, dans sa globalité, et chaque personnage d’Essabar nous a éclairés sur une partie de cette globalité et sur nous-mêmes, parce qu’en chacun, nous avons reconnu une partie de nous-mêmes »

À voir aussi cet article paru dans La Tribune du jeudi 9 octobre 2003

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